Motricité libre chez les jeunes enfants
L’enfant acteur de son développement.
Développé par la pédiatre Emmi Pickler dans les années 60, le concept de motricité libre vise à accompagner l’éveil de l’enfant en le laissant de façon autonome explorer ses capacités et acquérir la maîtrise de son corps.
L’enfant acquiert naturellement la maîtrise de ses mouvements, étape par étape, à son rythme.
L es observations réalisées par la pédiatre hongroise ont montré que le développement moteur de l’enfant qu’on laisse se mouvoir en liberté s’acquiert naturellement et dans un ordre précis. Le tout-petit a des compétences innées pour découvrir le
monde. Les bienfaits de la motricité libre sont aujourd’hui largement reconnus et plébiscités par les professionnels de la petite enfance.
La liberté motrice permet à l’enfant de découvrir son corps et de progresser à son rythme, en passant à l’étape suivante – se retourner, s’asseoir, marcher… – comme et quand il le souhaite, avec confiance.
Pour ce faire, l’adulte apprend à observer, ne pas intervenir, ce qui ne signifie pas laisser l’enfant se débrouiller seul mais, bien au contraire, l’accompagner par une présence attentionnée et bienveillante, adapter et sécuriser l’environnement.
Angélique Millour, puéricultrice.
« C’est permettre à l’enfant de faire confiance en ses capacités et en son propre jugement. C’est favoriser son éveil sans l’enfermer et privilégier un espace au sol adapté »
En pratique, c’est laisser libre cours aux mouvements spontanés de l’enfant, sans enseignement ni stimulation.
C’est, entre autres, ne pas mettre l’enfant dans une position qu’il n’a pas acquise seul ou qu’il ne peut quitter seul. Le tout-petit posé assis « de force » ne peut pas se mouvoir librement, va se raidir, ressentir de l’inconfort et un équilibre précaire. Installé sur le dos sur un tapis, il pourra explorer l’espace, rechercher les mouvements pour se déplacer, apprendre à utiliser son corps, développer assurance et confiance.
Se mouvoir en liberté : pourquoi ? Comment ?
Principe de base : ne pas aider l’enfant à faire mais l’observer et accompagner son développement.
S’il ne sait pas encore faire par lui-même, c’est qu’il n’est pas encore prêt.
Angélique Millour, puéricultrice.
« Sa propre expérimentation permet au bébé de découvrir ses possibilités et ses limites, tant au niveau de ses capacités que de l’unité de son corps. Il est nécessaire que l’enfant initie sa propre activité pour pouvoir l’investir: l’enfant doit être libre de ses mouvements tout en étant protégé des dangers.
Le transat nuit à cette liberté de mouvement alors qu’un tapis mousse suffisamment ferme est idéal. »
- Le trotteur est à bannir.
- L’utilisation du parc est à réfléchir.
- C’est au sol que l’enfant va développer peu à peu ses équilibres et ses appuis, pour préparer son développement moteur: petit à petit, il va découvrir comment se retourner en roulant, pour passer de la position sur le dos à sur le ventre, puis comment se déplacer en rampant, s’appuyer pour lever le buste et s’asseoir, se cramponner à quelque chose pour se mettre debout, marcher, courir…
« L’enfant a besoin de repères et de stabilité : mettre à disposition un long temps le même espace de jeux pour que le jouet devienne un repère pour que l’enfant puisse s’exercer à l’apprivoiser grâce à la répétition. Ce n’est pas l’adulte qui donne l’objet mais l’enfant qui va le chercher. Le jeu libre permet l’expression, libère les tensions. »
L’enfant a besoin aussi de prévoir les événements pour pouvoir prendre des initiatives. L’accompagner passe par la parole :
« aider l’enfant à accueillir l’émotion surprise, peur, frustration) mais aussi le prévenir de la fin imminente de son jeu pour qu’il puisse s’y préparer ».
Si on vous soulevait tout d’un coup en vous prenant sous les bras sans vous prévenir, seriez-vous à l’aise ? Non, certainement.
Idem pour l’enfant.
Pour aider l’enfant à construire son identité, l’assistant maternel favorise sa rencontre avec les autres, les laissant vivre des interactions entre eux et autoréguler les conflits.
La motricité libre s’exerce toujours en présence de l’adulte, qui porte une observation attentive et sécurisante. Commenter les actions de l’enfant, l’observer vivre des expériences positives pour pouvoir le gratifier, ce qui renforcera son estime, font partie intégrante du rôle de l’assistant maternel.
Les conseils de psychomotriciennes
Tous les actes de la vie quotidienne permettent à l’enfant de développer son autonomie
Entretien avec Céline Alcaraz, psychomotricienne depuis vingt ans, rattachée à l’Hôpital Femme-Mère Enfant de Lyon, intervenante à l’Université Lyon 1
"le principe de base de la motricité libre"
Chaque enfant est différent et c’est d’abord en l’observant, en découvrant comment il va bouger, se positionner pour attraper un objet, utiliser les matériels et jeux mis à sa disposition, que l’adulte va apprendre à l’accompagner dans ses expériences
de l’acquisition de ses mouvements, par lui-même et pour lui-même.
Ce n’est pas pour autant laisser l’enfant tout faire.
« L’adulte est garant de sa sécurité physique et psychique. Il l’observe, sans intervenir à sa place, sans attendre un présupposé. C’est à partir de ce qu’il a observé qu’il peut proposer, par exemple, de jouer à coucou-caché, de transformer un tissu en tunnel…
On ne sait jamais à l’avance ce qui est bon pour l’enfant, c’est lui qui va le montrer. Ça demande à l’adulte d’avoir une grande curiosité, de garder une âme d’enfant. »
L’adulte soutient l’émergence de la mobilité spontanée de l’enfant, de sa confiance et de son estime en lui-même.
« On me demande si cette approche très individuelle de l’enfant ne va pas créer chez lui de l’égoïsme. Mais, au contraire, c’est parce qu’il aura appris à faire par lui-même et pour lui-même, qu’il aura acquis cette relation de confiance, qu’il sera attentionné aux autres. »
Mots-clés donc : observer et adapter.
« Avec un petit qui commence à se hisser, on peut créer un jeu avec des chaises pour passer dessous, grimper dessus. Les jeux de ballon permettent de développer les notions d’espace, d’équilibre, de coordination. Le corporel est toujours présent: si vous proposez en fin de journée un jeu calme, comme enfiler des perles en bois, à des enfants assis sur des chaises où ils n’ont pas d’appui pour les pieds, ça ne marchera pas: ils seront toujours en mouvement. »
Entretien avec Sylvie Lavergne, psychomotricienne et formatrice
« L’adulte est là pour donner à l’enfant toutes les conditions lui permettant d’exercer sa motricité, de manière autonome, sans interférence »
Disposer des objets variés autour du tout-petit, installé sur un tapis ferme et stable, avec des vêtements suffisamment souples pour ne pas gêner ses gestes, va l’engager dans le mouvement.
L’adulte accompagne la maturité de chaque enfant.
« Si un petit sait s’asseoir, il saura revenir allongé au sol, en s’étirant. »
Pendant que le bébé joue au sol, l’enfant d’âge moyen, qui se déplace à quatre pattes ou en rampant, explorera l’espace à son niveau, en allant chercher un jouet sur une table basse, en se hissant sur une chaise à sa hauteur…
Tous les actes de la vie quotidienne offrent l’occasion à l’enfant de développer son autonomie : permettre à l’enfant de s’habiller seul, monter seul dans la poussette, aider à ranger un jeu...
« L’enfant est actif, il devient le partenaire de l’adulte pour répondre ensemble à ses besoins. »
Une bonne organisation du travail est primordiale :
« Pour les repas, créer une routine signifiante pour que chaque enfant sache que l’adulte va s’occuper de lui : par exemple, toujours faire manger le bébé en premier, pendant que les plus grands s’installent, pour ensuite être pleinement présente pour eux. »
Sylvie Lavergne a contribué à 2 ouvrages :
Entretien avec Florence Cottet, assistante maternelle.
« Être avec l’aise avec son corps est très important pour la personne en devenir qu’est l’enfant »
« Avec la motricité libre, on se rend compte que l’enfant se sent bien, qu’il développe plein de choses. Je le mettais en pratique déjà, par exemple, dans les sorties en utilisant le mobilier urbain : faire marcher l’enfant sur le bord d’un trottoir, sauter un
obstacle, monter sur une borne à incendie…
La formation proposée en 2016 par le relais de Beynost, avec Sylvie Lavergne, m’a beaucoup appris, notamment sur le repérage dans l’espace, comment baisser la voix pour mieux se faire entendre, créer un parcours de motricité avec des choses très simples qu’on a tous chez soi : des coussins, des tabourets en plastique… »
La formation est à application immédiate : les séances réunissent assistants maternels et enfants.
L’année suivante, le relais a complété cette première approche pratique par des ateliers de motricité autour des arts du cirque, avec la compagnie Cirqu’en Fleur.
Jeux d’équilibre, déplacements avec échasses, jonglage, roulades… offrent de multiples explorations ludiques de l’apprentissage naturel du mouvement.
« Chaque enfant tournait sur tous les ateliers. C’était très complet. On ne s’imagine pas de quoi les tout-petits sont capables! Je me sers tous les jours de ce que j’ai vu. » Là aussi, nul besoin de matériel complexe : « On peut utiliser des balles à lancer et rattraper, organiser un jeu avec des choses à empiler… »
Entretien avec Silvi de Oliveira, assistante maternelle initiée à la formation à la motricité libre au relais de Montluel.
« Je l’avais déjà un peu pratiquée avec mon dernier fils. La formation m’a appris de nouvelles techniques, toujours pour le bien-être de l’enfant. Depuis, je l’ai mise en application avec cinq enfants. C’est surprenant de voir leurs progrès, comment ils arrivent à se développer seuls. Un bébé de six mois va prendre ses repères, se retourner. Petit à petit, l’enfant va s’asseoir par lui-même, se mettre à quatre pattes, se lever et apprendre à marcher.
C’est magique ! »
Sur son lieu de travail, ni parc ni transat ni trotteur: un cercle de jouets délimite l’espace réservé au bébé.
« Je le mets toujours au sol, sur un tapis, pieds nus. Je ne l’assois que pour le repas à table. Les plus grands respectent son espace :
je ne leur interdis pas d’y aller, j’explique qu’ils peuvent venir lui faire un petit coucou et repartir. »
Silvi travaille ainsi en parfait accord avec les parents:
« Au début, je leur présente un formulaire expliquant la motricité libre. Ils sont vraiment pour et l’appliquent en continuité à la maison. Quand ils voient l’évolution de leur enfant, ils sont contents! »
Entretien avec Sandrine Pirodon, Maman d’Anouck, 20 mois qui la confie à Silvi depuis ses 4 mois.
« On se rend compte qu’Anouck n’a pas peur, qu’elle a confiance et reste prudente, qu’elle adopte des gestes qui la mettent en sécurité. Pour descendre du canapé, elle se tourne, met les fesses face au vide, pose les pieds par terre et se tient avec les mains. Elle est rarement tombée. Le jour où on a oublié de fermer la barrière de l’escalier, on a vu qu’elle savait le descendre !
Elle descend assise, marche par marche, ou debout en tenant les barreaux. Elle nous surprend beaucoup. Avant de marcher, elle se déplaçait partout sur les genoux, elle se hissait pour regarder ce qu’elle voulait. Tout se fait intuitivement. »
Le jeu actif
Les temps de jeu libre de l’enfant doivent être quotidiens. Via le jeu, il explore et expérimente sa motricité, développe son imagination, se muscle tout naturellement.
Le « jeu actif »
- où l’enfant utilise tout son corps et se déplace librement dans l’espace
- est vivement conseillé par les professionnels de la santé. Or, une étude de l’Institut de veille sanitaire publiée en 2015 montre que quatre enfants sur dix ne jouent jamais dehors, alors que la pratique de jeux en plein air est associée à une moindre sédentarité et à une moindre corpulence chez les 3/10 ans.
La Fédération de cardiologie alerte sur la « sédentarité précoce » des enfants.
Des études montrent également que 40 minutes de jeu dehors par jour réduit de 23 % le risque de développer plus tard une myopathie.
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[magazine] Lettre des assistants maternels de l’Ain
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